Extrait «À ma petite Thérèse chérie», avait écrit ma grand-mère sur un bout de papier blanc attaché à une montre en or. Celle-ci se trouvait dans le tiroir de la table de nuit, le papier était fixé à la chaîne à l'aide d'un élastique. Le cadran était joliment bordé de nacre, mais le verre était cassé et la montre s'avéra en définitive ne pas être en or. J'y cherchai ensuite un poinçon, en vain. Les mots étaient tracés à l'encre vert marine. La montre était l'un des deux objets quelle me destinait, à moi et personne d'autre. L'élastique était rouge et friable. Toutes ses affaires étaient garnies d'élastiques, on aurait dit quelle les avait soigneusement ficelées en vue d'un long voyage ou d'un déménagement. Nous trouvâmes des élastiques y compris autour de petits bocaux aux couvercles fermés, comme pour en maintenir le verre même. J'imagine ses longues mains ridées, pareilles à des griffes, au vernis à ongles rose écaillé, enrouler les élastiques autour des bocaux - ce qui n'avait aucun sens - et j'entends le silence de mort qui l'entoure ce faisant.
Ce fut dans le prolongement de ce silence que ma mère me téléphona pour m'annoncer la nouvelle : - Maman est morte. Puis elle se mit à rire. Longuement. Un rire sonore et rude, entrecoupé de respirations. - Grand-mère est morte ? - Oui ! Ce n'est pas formidable ? Le petit Stian était à côté de moi, une feuille de papier hygiénique à la main, j'allais tout juste lui moucher le nez. - Grand-mère est morte ? s'écria-t-il. - Non, pas ta grand-mère, dis-je. La mienne. La mère de ta grand-mère. Je coinçai le combiné entre mon menton et mon épaule et entrepris de le moucher, appuyant sur une narine, puis l'autre. Il souffla deux fois de chaque côté, une collaboration entre son nez et mes doigts qui se passait de commentaires. Après quoi il s'éclipsa par la porte de la véranda en courant sur ses jambes minces et bronzées avec force mouvements de coudes. - Je comprends que tu sois contente, maman. - Oui. Je suis si heureuse, Thérèse ! Je... et Ib tout pareil. C'est lui qui m'a appelée. On est tellement... tellement... Et tu vas pouvoir m'accompagner à Copenhague ! On va enfin examiner la maison de fond en comble, regarder dans les placards et tous les tiroirs. C'est fantastique, Thérèse ! - Je n'ai pas les moyens de m'offrir un voyage à Copenhague ces temps-ci, maman. - Je paierai pour toi. Ça te fera presque des petites vacances ! Et Ib n'a jamais vu Stian ! Mon Dieu, c'est super... Elle se remit à rire, un fou rire de petite fille qui me coupait le souffle. Le bas des grands rideaux à la porte de la véranda oscillait, comme toujours sous l'effet de la brise de fin d'été, c'était le propre de tous les rideaux de tous les temps. Je fondis en larmes, mais veillai à ce que ma mère ne s'en rende pas compte. --